« n00b », ou comment une série néo-zélandaise m’a replongé dans mon adolescence gay des années 2000

Il y a des séries qui vous divertissent. Et puis il y a celles qui viennent vous rappeler avec nostalgique tout une partie de votre jeunesse. n00b, une petite pépite venue de Nouvelle-Zélande et récemment diffusée sur Canal+, fait clairement partie de la deuxième catégorie. En six épisodes seulement, elle a réveillé en moi tout un pan de mon adolescence — vous savez cette époque ou moi aussi j’avais 16 ans, comme les personnages de la série, où j’écrivais des fanfictions à la chaîne, et où être gay au lycée n’était pas exactement une partie de plaisir.

L’histoire de n00b, c’est celle de Nikau, capitaine de l’équipe de rugby, ado populaire au lycée, dont la vie bascule brutalement quand ses fanfictions gays sont découvertes. En 2025, cela pourrait sembler moins choquant — mais en 2005, l’année où se déroule la série (et accessoirement l’année où moi aussi j’avais 16 ans), c’était une autre histoire. On était encore à des années-lumière de Heartstopper ou des réseaux sociaux débordant de safe spaces LGBTQ+. C’est cette justesse temporelle et émotionnelle qui rend n00b aussi bonne comme série.

Nikau, joué avec beaucoup de retenue et de nuance par Max Crean, incarne ce que beaucoup de jeunes queer ont vécu à l’époque : le grand écart entre l’image qu’on veut renvoyer et la réalité intérieure qu’on cache. Il est beau, sportif, entouré — mais il vit avec ce secret brûlant qu’il n’ose confier à personne. Lorsqu’une fanfiction (sur Ashton Kutcher et la chanter de My Chemical Romance s’il vous plaît) qu’il a écrite est dévoilée, son univers s’écroule.

J’ai été Nikau (sans le côté beau et sportif bien sûr). J’ai écrit des histoires dans mon coin, parfois très maladroites, souvent très intenses, toujours très codées. Des histoires dans lesquelles à travers les personnages que j’empruntais à des séries ou des animes, je me projetais. Parce que c’était le seul endroit où je pouvais vivre les histoires que je n’osais pas vivre en vrai. Nikau, c’est ce garçon qui se fait arracher son jardin secret et qui doit apprendre à survivre à la honte, au rejet, à la solitude. Et aussi, à se reconstruire.

Et puis il y a James. Qu’on me pardonne l’expression, mais James, c’est un peu le fantasme de beaucoup d’ados queer en 2005 : l’outsider charismatique, un peu dark, qui lit entre les lignes et qui ne se laisse pas embarquer par la norme. On en a tous connu un. J’ai connu un James. Avec son look emo, ses boots noires, ses répliques cinglantes mais pleines de justesse, James (interprété par Jaxson Cook) arrive au bon moment pour Nikau.

Ce personnage m’a touché parce qu’il est entier. Il ne s’excuse pas d’être lui-même, même quand les autres le trouvent bizarre. Il voit au-delà des apparences, et il comprend tout de suite que Nikau est en train de se noyer dans sa propre image. Leur relation est magnifique, pleine de maladresses, de regards qui en disent long, de moments suspendus où on retient notre souffle. C’est rare de voir une tension romantique aussi bien écrite, surtout dans une série qui parle d’adolescents sans jamais les infantiliser.

Au final, j’ai été un peu de ce que James est. J’ai été l’un, comme l’autre. Et je suis sur que si vous étiez un ado de 16 ans gay en 2005, vous pourriez me dire la même chose.

Lauren, c’est l’ex petite amie de Nikau, mais ce serait injuste de la réduire à ce rôle. Interprétée par Shervonne Grierson, elle est beaucoup plus que ça. Elle incarne une forme de résilience et d’introspection que j’aurais aimé voir plus souvent à l’époque, dans la vraie vie. Parce que quand tu apprends que ton copain était en fait amoureux d’un autre garçon, tu peux choisir la colère, l’humiliation, le rejet. Ou tu peux choisir de te poser des questions, de faire le tri entre ton égo blessé et ta capacité à comprendre ce que l’autre traverse.

Lauren choisit la deuxième option, avec une finesse qu’on ne voit pas au début. Elle traverse ses propres étapes, ses propres peines, mais elle finit par faire preuve d’une vraie bienveillance. Et elle n’est pourtant pas aidée par sa mère (mais heureusement son père rattrape la chose). Elle évolue au fil des épisodes, et elle représente cette génération de filles qui ont commencé, à leur manière, à déconstruire le modèle qu’on leur avait collé. Elle n’est ni l’héroïne ni la victime : elle est humaine.

Elle soulève une autre part de cette génération. La génération qui a vu Paris Hilton réussir juste avec une sex tape. La génération qui découvrait la télé réalité, et qui voulait en être.

Christian est un personnage plus ambivalent. C’est le meilleur ami de Nikau, un gars qu’on sent tiraillé entre ce qu’il ressent et ce qu’on attend de lui. Il aurait pu être le type qui soutient Nikau, qui reste à ses côtés… mais non. Il flanche, il dérape, il trahit. Et pourtant, on sent qu’il n’est pas foncièrement mauvais.

Ce que j’aime dans l’écriture de Christian, c’est qu’elle n’est jamais binaire. On comprend d’où vient sa peur, son malaise, sa colère. Il est le reflet de cette masculinité toxique dont beaucoup d’ados étaient prisonniers, mes amis y compris. Il est aussi la preuve que l’homophobie n’est pas toujours brutale ou violente. Parfois, elle est sournoise, elle vient de gens qu’on aimait, et c’est ce qui fait le plus mal. Mais son évolution notamment sur le dernier épisode est brillante, percutante et représente finalement la vraie vie. Il soutient son meilleur ami, parce que c’est la bonne chose à faire et parce qu’il est normal.

Et puis il y a Clara. L’un des personnages les plus bouleversants. La meilleure amie de Lauren, toujours dans son ombre, qui ne s’impose pas, qui ne sait pas dire non. Issue d’une famille très pratiquante et croyante. Façonnée par son père, obligée de s’occuper de ses petits frères. Elle ne sait pas dire non. Et ça c’est difficile. Et finalement, son monde s’effondre quand elle découvre qu’elle est enceinte de Christian parce qu’il s’est trompé de “trou”… Et oui… C’était ça aussi notre génération. Une génération qui ne savait pas tout, encore moins quand on en parle pas dans la famille.

Son cheminement est différent. Elle va devoir assumer des choix difficiles pour une ado, mais aussi s’émanciper de Lauren et trouver sa propre voix, quitte à se montrer méchante et réaliste avec sa meilleure amie, tout en se livrant à ce nouvel ami que sera James.

Au-delà de ses personnages très bien écrits, n00b m’a scotché par la précision avec laquelle elle recrée l’ambiance de 2005. Les looks emo, les t-shirts moulants, les jeans trop bas, les posters de groupes alternatifs. Les débuts de MSN, les pseudos codés, les forums, les blogs perso, les compilas de CD qu’on faisait en cachette. Tout y est.

Et pour quelqu’un comme moi, qui a grandi dans ce décor, c’est plus qu’un clin d’œil. C’est un voyage dans le temps, un retour à cette époque étrange où on essayait de se construire avec les moyens du bord. n00b ne tombe jamais dans la caricature ni dans la nostalgie facile. Elle observe cette époque avec tendresse, mais sans filtre. Et ça marche.

n00b

Il y a une chose que la série fait magnifiquement : montrer à quel point écrire peut sauver. Quand Nikau écrit ses fanfictions, ce n’est pas juste pour s’amuser. C’est pour respirer. C’est pour rêver à une version de lui-même qu’il pourrait aimer. J’ai ressenti ça à chaque ligne que j’ai pu écrire moi aussi à 16 ans. Et même encore aujourd’hui, en ayant écrit des romans (et en tentant de les faire publier ahah). Des histoires de garçons qui s’aimaient en cachette, de héros gays dans des univers où ils étaient enfin acceptés, de romances impossibles et de fins heureuses que je ne voyais pas autour de moi.

n00b montre l’importance de ces bulles d’expression. De ces univers qu’on se crée pour survivre. Et en tant que fan de fanfiction, en tant qu’ado gay qui écrivait pour se sentir moins seul, cette série m’a touché en plein coeur.

n00b n’est pas qu’une série adolescente de plus. C’est un miroir tendu à toute une génération. Celle qui a grandi entre deux mondes : trop tôt pour l’ouverture actuelle, trop tard pour le placard total. C’est une série qui parle avec finesse de l’adolescence, de l’amour, de l’amitié et surtout, de la difficulté d’être soi.

Et si vous avez, comme moi, écrit des fanfictions à la lumière de votre écran en 2005, si vous avez aimé en secret, si vous avez rêvé de pouvoir tout dire sans craindre les moqueries ou le rejet… si vous avez e du mal dans vos relations amicales, si vous étiez populaire ou bien le nouveau de la classe, alors n00b est faite pour vous.

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